- Point de mire: Éthique
Comment la relève des médecins cadres peut-elle aborder les conflits internes?
Les décisions médicales ont souvent une portée éthique, ce qui rend les conflits internes à l’hôpital presque inévitables. Les compétences dans la prévention et la gestion de conflits peuvent non seulement améliorer le climat de travail, mais aussi la propre qualité de vie.
15.10.2024
Les médecins qui endossent pour la première fois des responsabilités de gestion et de conduite dans un service assument ainsi des tâches non médicales qui dépassent souvent les compétences acquises jusque-là. De par leur engagement, ils veulent satisfaire au mieux aux attentes de leurs supérieurs, diriger les collaborateurs de manière motivante et mettre en œuvre une prise en charge des patients qui est orientée sur le bien-être de ces derniers et qui satisfait en même temps aux propres attentes en matière de qualité.
Un mélange stressant
Pourtant, l’exécution de tâches de gestion et de conduite dans des organisations hospitalières complexes peut s’avérer pénible. En particulier, les médecins ne disposant que de peu d’expérience de gestion ressentent souvent les conflits professionnels comme une conséquence de leurs propres manquements. A cela peut éventuellement s’ajouter le sentiment d’être observé, lorsqu’ils veulent mettre en œuvre les directives de la direction médicale vis-à-vis des collaborateurs subordonnés.
Tiraillés entre le désir d’effectuer leur travail de manière si possible parfaite et la pression importante en termes de temps et de performance, les médecins qui occupent cette position en sandwich risquent davantage de percevoir le travail quotidien et les situations de conflit comme un multiplicateur de stress.
Les conflits internes comme indicateur
Les conflits internes se caractérisent généralement par le fait que les actions, les besoins, les intérêts, les désirs, les attentes ou les sentiments divergents de deux personnes ou groupes se heurtent. Au moins, l’une des parties subit ainsi un préjudice en ce sens qu’elle voit ses propres efforts influencés négativement par l’autre partie.
Connaissances en matière de conflits: une première étape vers la solution
Les conflits présentent toujours un niveau factuel (de quoi s’agit-il sur le plan factuel et technique?) et un niveau relationnel (quelle est la relation entre les personnes concernées?). Ces deux niveaux sont généralement interdépendants. Sans gestion appropriée des conflits, un évènement anodin peut donner lieu à des dissensions et envenimer la situation. Très souvent, il s’agit de questions relationnelles entre les personnes impliquées dans le conflit (entre autres, un sentiment d’une estime personnelle insuffisante de la part des autres, un sentiment d’injustice, etc.). Ces questions relationnelles se répercutent sur les positions et intérêts sur le plan factuel.
C’est souvent aussi le cas pour des conflits parfois graves dans les hôpitaux entre les différents groupes professionnels (médecins – économistes; médecins – personnel infirmier). Dans de tels cas, les parties en conflit s’affrontent avec leurs différentes formations professionnelles, socialisations, habitudes et leurs domaines d’activité et de responsabilité complémentaires.
Une identification précoce limite les dégâts
Au même titre qu’un diagnostic précoce améliore les chances de guérison, l’identification précoce d’un conflit peut faciliter sa résolution et limiter les dégâts qui en résultent. Dans l’idéal, les supérieurs hiérarchiques peuvent pratiquer une gestion des conflits appropriée leur permettant d’éviter une dégradation de la situation se répercutant négativement sur la motivation, le climat de travail, la culture/la réputation de l’entreprise ou même la santé des personnes concernées.
La commercialisation: une source de conflit?
En général, les conflits cachés sont plus difficiles à identifier et à résoudre pour le supérieur hiérarchique. Un exemple: dans de nombreux hôpitaux, les médecins cadres assument non seulement une responsabilité qualitative pour la prise en charge des patients dans leur service, mais au moins en partie aussi une responsabilité économique, c’est-à-dire en matière de gestion et de résultats.
Cette dualité des tâches, c’est-à-dire, d’une part, les tâches médicales et, d’autre part, la responsabilité économique, place la relève des médecins cadres dans une zone de conflit médicoéthique entre objectifs de qualité médicaux (bien-être du patient), objectifs économiques et entrepreneuriaux et attitude personnelle (l’exercice de la profession a-t-il un sens?).
Comment la relève des médecins cadres peut-elle aborder de manière constructive et moralement adéquate de tels thèmes et d’autres sujets qui sont source de conflits?
La compréhension plutôt que la pression
Les médecins cadres compétents en matière de conflit se considèrent idéalement comme faisant partie de la solution (du conflit) et non pas du problème. S’ils veulent résoudre efficacement un conflit interne, ils sont en mesure de résister à la tentation de réagir vite ou de vouloir s’interposer.
Connaissant l’importance du niveau relationnel entre les personnes en conflit, ils s’efforcent d’établir une relation de confiance avec les personnes ou groupes concernés. Pour gérer efficacement les conflits, il faut entrer en relation avec les personnes impliquées, la raison étant interpellée par le biais du cœur. Avant de parler des faits et de l’attitude de chacun, il faut donc établir une acceptation émotionnelle réciproque. Dans de telles situations, il peut être tentant de vouloir trouver rapidement une solution apparemment simple en se servant de sa position dominante pour mettre fin au conflit. L’expérience montre cependant qu’un processus de résolution orienté sur la compréhension et l’équilibre des intérêts produit des résultats plus durables que la résolution par la contrainte.
Ecouter et comprendre
L’acceptation réciproque naît de la compréhension mutuelle. La compréhension mutuelle peut se développer lorsque les parties au conflit réalisent qu’elles peuvent chacune expliquer librement et de manière civilisée leurs points de vue, leurs motifs et positions dans un cadre protégé par le supérieur hiérarchique.
Il en résulte un savoir commun sur la situation de conflit et les éventuelles causes. L’on peut ensuite élaborer ensemble une solution acceptable pour les parties. Ce point est important dans le processus, étant donné que le déroulement du conflit, qui se caractérisait jusqu’ici par des reproches réciproques tournés vers le passé et susceptibles de faire dégénérer la situation, peut se transformer en une résolution du conflit tournée vers l’avenir et orientée vers la recherche de solutions.
Des solutions pragmatiques s’imposent
Cette manière de procéder est particulièrement importante en cas de conflits cachés. En effet, elle établit la clarté sur une situation auparavant trouble et des points de vue divergents. Les parties au conflit peuvent ainsi définir des champs thématiques problématiques qu’il s’agit d’aborder ensemble dans le processus de résolution du conflit.
A partir de ces thèmes, le médecin cadre peut définir avec les parties au conflit des intérêts en les invitant à citer les thèmes qu’elles souhaitent discuter lors de la réunion commune. Ce n’est que lorsque ces intérêts ont été cités que l’on peut élaborer des solutions. La question du contenu doit toujours être résolue avant celle de la manière de faire. Si des solutions consensuelles ont été élaborées sur les différents thèmes conflictuels, il convient de documenter ces solutions et de les mettre à disposition des parties impliquées.
Le chemin plus long vers la solution est plus rapide
Une telle manière de faire pour résoudre les conflits internes dans les hôpitaux peut à première vue paraître relativement chronophage. L’expérience montre cependant qu’elle est très efficace, vu qu’elle permet aux personnes impliquées de souscrire à la solution convenue. L’expérience d’un processus de résolution du conflit réussi renforce souvent les compétences en matière de comportement et de solution.
Pour la relève des médecins cadres, la compétence en matière de conflit est un outil efficace pour gérer de nouvelles tâches de gestion et de conduite à l’hôpital avec succès, réduire le niveau de stress et atteindre une meilleure maîtrise de soi. Pour eux, la compétence en matière de conflit est toujours aussi un moyen d’améliorer leur qualité de vie professionnelle compte tenu de la position en sandwich qu’ils occupent dans la hiérarchie. Ou comme l’a un jour formulé le médecin, lauréat du prix Nobel, Albert Schweitzer: «Pour chaque minute où vous êtes en colère, vous perdez soixante secondes de bonheur.»