- L'art au service de la médecine
Dessiner quand les mots ne sortent pas
Pour Jlona Dreyer, qui vit avec un TDAH et un trouble de la personnalité borderline, le dessin a toujours été un moyen de se canaliser et d’exprimer ses sentiments. Depuis qu’elle en a fait son métier, elle se sent mieux que jamais.
08.04.2025

«Tu n’as jamais pensé devenir tatoueuse?» Cette phrase de son thérapeute plastique a changé la vie de Jlona Dreyer. En effet, jusqu’à ce fameux déclic en 2020, le parcours scolaire et professionnel de Jlona Dreyer avait surtout été semé d’embûches.
«Peur de moi-même»
Au jardin d’enfants déjà, elle se sent décalée, différente, vide. Puis des troubles de la concentration se manifestent lorsqu’elle commence l’école. Elle n’est vraiment réceptive que lorsqu’elle griffonne en parallèle sur son cahier – ce qui a le don d’agacer ses professeurs. Elle va certes au bout de son apprentissage de cuisinière après l’école obligatoire, mais ne travaille pas un seul jour dans son métier, préférant enchaîner les petits boulots. Elle ne se sent pas bien. Elle ressent un vide intérieur, une profonde tristesse, trouve la vie très éprouvante. Alors qu’elle passe ses journées à découper des pièces d’isolation à la scie circulaire pour une entreprise de construction de façades, elle s’imagine ce que cela ferait de s’allonger sous cette scie. «L’idée d’en finir me tentait. Et me terrifiait. J’ai commencé à avoir peur de moi-même.»

Un diagnostic libérateur
Jlona Dreyer réalise alors qu’elle ne peut pas continuer ainsi. Elle commence à s’informer, consulte une thérapeute et, à 28 ans, reçoit les diagnostics du trouble de la personnalité borderline (TPB) et du trouble du déficit de l’attention/hyperactivité (TDAH). Si cette certitude ne change rien à son état actuel, elle a néanmoins un effet libérateur: «Je savais à présent que je n’étais ni fausse ni une mauvaise personne.» En même temps, elle prend conscience qu’il ne s’agit pas d’un état passager et qu’elle doit apprendre à vivre avec.
Exprimer ses sentiments à travers l’art
Pendant deux séjours en clinique à deux ans d’intervalle, elle suit différentes thérapies, dont une art-thérapie et une thérapie plastique. Alors que l’art-thérapie visait surtout l’expression personnelle par le biais d’images et de couleurs et qu’elle allait rapidement au fond des choses, elle se sentait plus libre avec la thérapie plastique, qui lui correspondait davantage. «J’ai toujours été créative, j’adore bricoler, peindre et surtout dessiner. Le dessin me permettait non seulement de mieux me concentrer, mais aussi d’exprimer mes sentiments lorsque je n’avais pas les mots pour le faire.» Elle n’avait toutefois jamais osé faire de son art son métier – jusqu’au jour où son thérapeute plastique lui en a parlé. «Le fait qu’un professionnel me croit capable de le faire m’a donné l’impulsion dont j’avais besoin.»
L’art au service de la médecine
La relation entre l’art et la médecine s’inscrit dans une longue tradition; dans l’Antiquité déjà, on pensait que la musique était dotée d’un pouvoir curatif. La série «L’art au service de la médecine» est consacrée aux multiples aspects de cette relation.
Devenir son propre cobaye
Elle se forme auprès d’une connaissance chez qui elle s’était déjà fait tatouer, passe beaucoup de temps à observer et s’exerce sur ses propres jambes. «J’ai certainement profité du fait que je n’ai aucune difficulté à me faire du mal», dit Jlona Dreyer en plaisantant, avant de retrouver son sérieux. Car bien que le fait de se mettre à son compte implique de relever de tout nouveaux défis – les finances, les doutes et le contact avec des clients exigeants ne sont que quelques exemples – et même si elle trouve toujours épuisant de passer constamment par un ascenseur émotionnel, elle ne se sent plus perdue, et l’envie de se faire du mal a presque disparu. Elle peut même trouver des aspects positifs à ses troubles; par exemple l’hyperfocalisation qui lui est utile pour tatouer ou gérer les émotions fortes. «Je vis aussi les émotions positives plus intensément que d’autres personnes. Et lorsque je dessine un motif pour quelqu’un et que je le vois ensuite sur sa peau, j’ai envie de sauter de joie comme une enfant.»
Conversations profondes au studio
Avec son évolution professionnelle, le rapport de Jlona Dreyer au dessin a également changé. Alors qu’auparavant, il s’agissait surtout d’un exutoire et d’une stratégie pour maîtriser des pensées bruyantes et des émotions fortes, elle dessine aujourd’hui le plus souvent sur commande. Elle apprécie d’autant plus de pouvoir accompagner des personnes qui traversent une période difficile. Et ses clientes et clients lui en parlent souvent très ouvertement. «Je ne suis pas douée en small talk. Et quand quelqu’un est allongé quelques heures sur ma table, les conversations deviennent souvent profondes.» Le fait qu’elle parle elle-même de ses troubles sans aucun tabou y contribue certainement. Et peut-être que cela attire des clients. En effet, il n’est pas rare que des personnes se présentent avec des cicatrices consécutives à des blessures qu’elles se sont infligées. «Si je peux aider à créer quelque chose de beau à partir de ces cicatrices, alors je suis heureuse.»
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