• Formation postgraduée

«Les médecins ont tendance à demander de l’aide trop tard»

Dans les hôpitaux, les médecins sont de loin la profession avec le moins de jours d’absence. Non pas parce qu’ils sont particulièrement résilients, mais parce qu’ils ont tendance à négliger leur propre santé, déclare Sabine Werner, médecin et experte pour la santé des médecins.

Les médecins se comportent parfois comme des superhéros et vont travailler même en étant malades. Photo: Adobe Stock/yurolaitsalbert
Les médecins se comportent parfois comme des superhéros et vont travailler même en étant malades. Photo: Adobe Stock/yurolaitsalbert

Les médecins enregistrent significativement moins d’absences pour cause de maladie ou d’accident que d’autres professions représentées à l’hôpital. Les médecins sont-ils tout simplement en meilleure santé?

Le fait que les médecins soient moins absents pour des raisons de santé n’est pas nécessairement lié à une meilleure santé. Différentes études nous montrent que les médecins sont nettement plus souvent touchés par la dépression et le burn-out que la population générale et aussi plus souvent que les autres professions de la santé. Il en va de même pour ce qui concerne le suicide et les addictions. De ce point de vue, la santé des médecins est donc plutôt moins bonne que celle de la population en général.

Pourquoi ont-ils malgré tout moins de jours d’absence?

Les médecins vont souvent travailler lorsqu’ils sont malades. Si leurs patientes et patients présentaient les mêmes symptômes, ils les mettraient en congé maladie. Il peut y avoir différentes raisons à ce phénomène appelé présentisme. Un engagement supérieur à la moyenne et un sens des responsabilités aigu vis-à-vis des patientes et patients et des collègues y participent sans aucun doute. Chacun sait qu’en cas d’absence, ce sont les collègues qui doivent intervenir – et cela souvent dans un contexte de ressources en personnel limitées. Pourtant, un autre aspect joue aussi un rôle important: j’appelle cela le mythe du héros ou l’image de superman que nous médecins aimons entretenir. Le fait de travailler beaucoup a une connotation positive chez les médecins. C’est une image de soi, un rôle que nous construisons progressivement dès les études, car là aussi, il s’agit déjà de faire preuve d’engagement et de résister à la concurrence. À cela s’ajoute aussi une certaine surestimation de ses capacités et le sentiment d’être indispensable. Les médecins ont également tendance à demander de l’aide très tard. Au lieu de cela, ils préfèrent se soigner eux-mêmes. L’automédication est un thème prédominant.

Le moins de jours d’absence chez les médecins

Dans le cadre de la solution de branche Sécurité au travail, l’association des hôpitaux H+ recense le nombre de jours d’absence par profession à l’hôpital. La participation au relevé est facultative. Les résultats ne peuvent pas être qualifiés de représentatifs, mais ils sont tout à fait pertinents compte tenu des plus de 30 000 équivalents plein temps qu’ils représentent. Le nombre de jours d’absence pour cause de maladie ou d’accident chez les médecins est significativement plus faible que chez les autres professions à l’hôpital. Ces six dernières années, la différence était de quatre à sept jours d’absence par année.

Le faible nombre de jours d’absence est-il aussi dû au système? Si l’on ne parvient pas à remplacer les personnes absentes, ce n’est pas la faute des médecins.

Oui, la pression économique et la pénurie de personnel qualifié se font ressentir. Mais la culture d’entreprise et du leadership joue aussi un rôle dans le secteur de la santé. Il n’y a guère de réserves de personnel ni de pool de dépanneurs pour remplacer les personnes absentes. Il en résulte un cercle vicieux. Plus les ressources sont limitées, plus les conditions de travail sont néfastes pour la santé. Sur le court terme, le fonctionnement du système est maintenu par le présentisme. Sur le long terme, il faut s’attendre à plus de maladies dues au stress telles que le burn-out, d’absences de longue durée et d’abandons de la profession. Notamment lorsqu’il s’agit de burn-out, la plupart des médecins préfèrent démissionner plutôt que d’être en congé maladie et d’avouer souffrir d’un burn-out. Parfois, ils le font cependant aussi parce qu’ils n’ont aucun espoir de voir leurs conditions de travail s’améliorer.

Y a-t-il des différences entre les générations?

Il faut dire que la profession de médecin est très exigeante. Sur le plan émotionnel, parce que nous sommes confrontés à de nombreuses situations difficiles, mais aussi sur le plan psychique et physique compte tenu de la grande responsabilité, de l’intensité du travail, du travail par équipes et des longs horaires de travail. Dix à douze heures par jour sont quasiment la norme et cela souvent sans pause. Sans compter les innombrables heures supplémentaires qui ne sont pas notées, encore actuellement. Environ 50% des médecins souffrent une fois au cours de leur carrière de symptômes d’un burn-out. Plus l’expérience est grande, plus la pression psychosociale ressentie est faible. Après la période de formation postgraduée, le bien-être psychique tend à s’améliorer. Au fil des années, les médecins développent généralement aussi différentes stratégies de résilience. La contrainte ressentie est donc effectivement plus élevée chez les jeunes, mais leur disposition à accepter des conditions de travail difficiles et s’accommoder de tâches administratives excessives ou de renoncer à leur vie privée baisse.

Quelles sont les conséquences lorsqu’une personne travaille en étant malade?

Ils sont nombreux à vouloir l’ignorer, mais il est évident que la qualité de traitement en souffre. La satisfaction des patientes et patients baisse et le taux d’erreurs augmente. Après une erreur ou une «presqu’erreur», les médecins concernés peuvent devenir des «secondes victimes», ce qui a de nombreuses répercussions négatives pour les personnes et le système. Si l’on accorde systématiquement plus d’importance, aussi de par la hiérarchie, à l’engagement envers les patientes et patients, à l’équipe, à l’établissement qu’à la prise en charge de soi-même, il en résulte à long terme une culture dans laquelle il n’est pas permis d’être malade. Cette prise en charge de soi-même devrait pourtant constituer la base d’une bonne médecine. Les pilotes disposent de listes de contrôle pour voir s’ils sont aptes à voler. Si les médecins devaient les remplir, il y aurait probablement un certain nombre d’hôpitaux qui devraient rester fermés demain. Il est donc important que les collègues soient attentifs aux signaux d’alarme, et aussi et surtout les supérieurs. Si un collègue commet fréquemment des erreurs ou que les tâches administratives lui demandent beaucoup plus de temps, il faut réagir. L’employeur a une obligation d’assistance et de protection de la santé envers les employés.

Que faut-il faire pour que la prise en charge de soi-même fonctionne mieux?

Il faut d’une manière générale sensibiliser sur ce thème. Notamment pour qu’au niveau de la direction, l’on prenne conscience de l’ampleur et de la gravité des conséquences lorsque la question de la «santé des médecins» est négligée. Les facteurs organisationnels jouent aussi un rôle préventif important. Je pense à des choses simples comme les pauses, aussi pour se ravitailler et les possibilités de prise en charge des enfants. Ou aussi un soutien de premier niveau lorsque l’on traverse une crise psychique, par exemple suite à une erreur de traitement.

Y a-t-il de bons exemples?

À l’étranger, on est en partie plus avancé qu’en Suisse. Les conditions de travail sont le facteur numéro un. Les longs horaires de travail de dix heures et plus par jour rendent malade à long terme, c’est un fait avéré. Et pour ce qui concerne le temps de travail, les pays scandinaves sont plus avancés que nous. Aux Pays-Bas, il existe aussi des cercles de soutien par les pairs qui sont utiles. Aussi pour ce qui concerne la conciliation de la profession et de la vie privée, d’autres pays sont plus avancés. Si la prise en charge des enfants est réglée et que les horaires de travail sont réguliers, les médecins sont plus disposés à travailler à plein temps, ce qui est à l’avantage du système qui souffre aujourd’hui d’un taux d’abandon élevé. En Suisse, ReMed soutient les médecins en cas de crise ou de situation difficile en l’espace de 72 heures avec un premier conseil gratuit par des collègues. De plus, il existe un groupe de coaching pour un échange entre pairs.

Que conseillez-vous à vos clients chez ReMed ou dans le cadre du coaching?

Si je suis médecin et malade et que je me demande si je peux ou je dois travailler, je devrais me poser les questions suivantes: est-ce que je mettrais en congé maladie un patient présentant les mêmes symptômes? Cela présente-t-il un risque pour moi ou pour d’autres? Il faut évidemment aussi tenir compte du fait que le risque d’effectuer une intervention chirurgicale complexe en ayant de la fièvre est bien plus élevé que lorsque l’on effectue des consultations en ayant un refroidissement. L’on sait qu’il est plus difficile d’évaluer sa propre capacité de travailler lorsque l’on souffre de surmenage, d’épuisement ou d’insomnies. Dans ces situations, il est important d’avoir un regard extérieur. Mais le mieux est d’agir préventivement. Je recommande toujours d’établir un bilan énergétique à la fin de la journée. Suis-je dans le vert, le jaune ou le rouge? Si je suis dans le jaune ou le rouge pendant une semaine, je dois réagir. Il suffira éventuellement de respecter systématiquement les pauses, avec une bonne pause de midi et une minipause le matin et l’après-midi. Si cela n’aide pas, il faut demander de l’aide à son médecin personnel. C’est-à-dire ne pas recourir à l’automédication, mais faire appel à un médecin en dehors de l’hôpital. Il est aussi important de se préparer aux défis du travail quotidien. Nous exerçons un beau métier plein de sens. Il existe néanmoins des facteurs de risque pour notre propre santé que nous devrions connaître. En tant que médecin, je devrais m’intéresser à temps à mes facteurs de stress et ressources personnels, mais aussi aux «facteurs intrinsèques» qui m’inciteront à continuer même si je suis malade. Il est important de connaître ses propres limites et aussi de développer des stratégies sur la manière de réagir en cas de surmenage aigu ou chronique. Il existe un grand nombre d’offres de cours et de coaching utiles. Il faut seulement prendre le temps de les consulter.

Biographie express

Sabine Werner est spécialiste en dermatologie et vénéréologie et exerce dans son propre cabinet dans le canton de Thurgovie. Elle accompagne comme coach les médecins sur des thèmes tels que la gestion du stress, la résilience, l’organisation du travail, l’autogestion et la conciliation. Elle est membre du comité de direction et de l’équipe de conseil de ReMed, le réseau de soutien pour médecins: www.swiss-remed.ch.