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M. Exadaktylos, comment encourage-t-on l’épanouissement au travail?
Pour Aristomenis Exadaktylos, directeur et médecin-chef de la Clinique universitaire de médecine d’urgence à l’Hôpital de l’Île à Berne, une bonne conduite ne consiste pas à contrôler, mais à créer des espaces de liberté et des conditions-cadres dans lesquelles l’équipe peut se développer. Dans l’entretien qu’il nous a accordé, il nous dévoile sa méthode.
11.02.2025
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«Je veux présenter Aris Exadaktylos, parce que je trouve remarquable la manière dont ses médecins-cadres peuvent, sous sa direction, développer leurs propres centres d’intérêt sous forme de projets et dans la recherche.»
Aris, tu laisses une grande liberté à tes collaborateurs en leur permettant de proposer des idées de projet et ensuite de les réaliser. Quel soutien leur apportes-tu?
À notre époque – la médecine d’urgence est à ce titre un bon exemple – il s’agit de moins en moins de diriger seul et de plus en plus d’avancer ensemble. Les gens font preuve d’une plus grande créativité et ne sont plus aussi serviles qu’autrefois. En Angleterre, mon consultant de l’époque m’avait demandé: «Aris, are you a creationist or an evolutionist?» C’est une question intéressante. La plupart se considèrent plus comme des creationists, c’est-à-dire comme créateurs de quelque chose de concret. Pour un travail d’équipe de qualité, le chef se doit toutefois de créer un espace dans lequel l’équipe peut se développer; il s’agit de donner du temps et de l’espace à l’«évolution».
De la même manière qu’avant Luther, les prêtres prêchaient l’Évangile en latin du haut de la chaire et les gens devaient croire ce qu’on leur disait, il en allait de même en médecine avec les «dieux en blouse blanche». Le chef était le gardien des connaissances. Il savait tout, pouvait tout faire et le transmettait de haut en bas. Aujourd’hui, nous vivons en quelque sorte dans une «phase post-luthérienne». Tous les médecins ont accès aux connaissances et cela très facilement. Cela permet aux collaborateurs de savoir quelles connaissances et aptitudes supplémentaires ils souhaitent acquérir.
Compte tenu de mon expérience et de la liberté dont je dispose en tant que chef, il me revient de marier les intérêts des chef(fe)s de clinique et de les inciter à créer eux-mêmes quelque chose. Ce qu’ils souhaitent encore apprendre ou étudier ressemble à la pièce d’un puzzle. Il m’incombe ensuite de rassembler ces pièces tout en veillant à ce que tout le puzzle trouve sa place dans un cadre et que personne ne soit mis de côté. Ce faisant, il est également important que la vision d’ensemble qui en découle ait un sens – tant pour les observateurs, le service des urgences, l’Hôpital de l’Île que pour la médecine d’urgence – et que toutes les personnes impliquées s’y retrouvent. Il faut donc faire preuve d’un esprit de compromis, d’un esprit d’équipe et d’égards, parfois aussi vis-à-vis de la majorité. C’est ainsi que j’interprète ma tâche; il ne s’agit donc pas forcément d’exercer un contrôle sur ce qu’ils font, mais de garder la vue d’ensemble sur ce qui en résultera au final.
Il est également important d’identifier les aptitudes individuelles des membres de l’équipe et de leur donner l’espace pour les développer. On dit qu’un bon supérieur hiérarchique trouve les bonnes personnes et ne se met ensuite pas en travers de leur chemin. Celles-ci acquièrent ainsi la confiance nécessaire pour franchir cette étape créative et proposer leurs idées de projet.
As-tu recruté des personnes particulièrement inspirées?
Non, je ne pense pas. Je suis convaincu que tous les membres de notre équipe possèdent des talents particuliers et sont uniques. À mon avis, les personnes qui travaillent exclusivement dans le domaine clinique sont tout aussi remarquables que celles qui se consacrent à la recherche. Nous avons ainsi réussi à faire en sorte que la recherche effectuée par certains soit soutenue par tous.
Que fais-tu pour éviter la jalousie dans l’équipe lorsque différents projets sont en concurrence?
La médecine d’urgence est une discipline axée sur la pratique où l’on veut immédiatement voir le résultat. Les projets doivent donc être adaptés à la médecine d’urgence. Les patientes et patients et leur prise en charge sont au cœur de la médecine d’urgence. Nous faisons donc ce que l’on pourrait appeler de la «recherche sur la prise en charge». Nous analysons la manière dont on pourrait améliorer cette prise en charge et notre travail pour les patientes et patients. C’est pour cette raison que tous les membres de notre équipe interprofessionnelle voient le sens de ces projets et comprennent que cette recherche leur apporte des bénéfices. Cette compréhension nous rend plus résistants en tant qu’équipe et favorise la cohésion.
De plus, nous essayons d’établir une concurrence «pacifique» entre les collaborateurs. Car les moyens ne sont évidemment pas illimités. Comme je ne suis pas le seul à prendre ces décisions, nous devons, en tant qu’équipe, regarder s’il y a suffisamment de moyens pour tous ou s’il faut réduire nos activités dans un domaine, afin que nous puissions encourager davantage l’un ou l’autre compte tenu de la probabilité plus élevée de le ou la voir monter les échelons de la carrière.
Pourquoi tes collaborateurs ne souffrent-ils pas d’épuisement?
Je pense qu’il faut avoir le feu sacré lorsque l’on travaille dans la médecine d’urgence. Sinon, ça ne marche pas. La médecine d’urgence est une activité très exigeante, tant sur le plan physique qu’émotionnel. La tâche de la direction est de faire en sorte que le moteur reste à bonne température, mais ne surchauffe pas. Et parfois, nous devons protéger les collaborateurs contre la surchauffe. Si je les envoie toujours de nouveau au combat et que pour ma part je débraie de manière répétée, cela ne peut pas fonctionner sur la durée. Je partage cette responsabilité avec plusieurs personnes, mais en premier lieu avec Beat Lehmann, mon excellent suppléant et directeur des opérations cliniques, sans qui le tout ne fonctionnerait pas, mais aussi grâce à notre infirmière en chef, Petra Fuchs.
En tant que supérieurs hiérarchiques, nous devons être proches de nos collaborateurs, en tant qu’êtres humains. Nous devons montrer que nous avons aussi nos forces et nos faiblesses et que nous les considérons aussi comme des êtres humains. S’ils savent que nous leur faisons confiance, ils se sentent valorisés. Ils sont alors prêts à faire un effort supplémentaire.
De plus, nous essayons d’en savoir plus sur nos collaborateurs. Pour savoir comment ils vont, pas seulement au travail, mais en général et plus particulièrement à la maison. Ont-ils des petits ou grands enfants? Se sentent-ils bien ou non? Certes, il est possible de séparer le travail et la famille, si l’on exerce un métier avec des horaires réguliers et que l’on a congé tous les week-ends. Mais avec les services du matin, du soir et de nuit et les différentes interventions supplémentaires, ce n’est pas possible. Cela constitue une contrainte pour soi-même et pour son entourage. À la maison, la médecine d’urgence est donc aussi un travail d’équipe.
L’une de mes tâches principales est donc de prévoir l’épuisement et de l’empêcher en proposant de l’aide si quelqu’un en a besoin. La plupart du temps, cela fonctionne, mais hélas pas dans tous les cas. C’est très dur à vivre et l’on se fait des reproches. Car nous aussi à la direction, nous ne sommes que des êtres humains.
Comment peut-on concevoir le poste de chef(fe) de clinique de manière variée dans une discipline aussi vaste que la médecine d’urgence pour ne pas voir davantage de médecins partir dans d’autres disciplines?
La médecine d’urgence est très vaste, mais n’a pas partout la même profondeur. Nombreux sont ceux qui, après avoir travaillé un certain temps dans ce domaine, estiment que la variété ne satisfait pas leur envie d’aller davantage en profondeur. Cela ne me pose aucun problème s’ils partent dans d’autres disciplines, étant donné que la plupart le font en disposant de connaissances approfondies en médecine d’urgence.
On cherche la largeur et la profondeur que l’on pense pouvoir gérer. C’est un aspect important en médecine. Nous avons aussi besoin d’un équilibre entre vie professionnelle et vie privée, qui est marqué par la Quality of Work au travail. Celle-ci est fortement influencée par ce que j’ai moi-même pu réaliser et par la satisfaction que j’éprouve dans ce que je fais.
Cette largeur constitue la force de la médecine d’urgence en ce qui concerne l’épanouissement personnel. On peut l’exploiter de différentes manières dans son travail. Que l’on travaille au service des urgences ou dans un cabinet, on peut se développer dans des domaines allant de la psychiatrie à la traumatologie. Nous couvrons un large éventail de thèmes, de la chirurgie à la médecine interne en passant par l’anesthésie. Si les collaborateurs rentrent chez eux après une longue journée et pensent: «La journée a été pénible, mais je suis satisfait du travail que j’ai accompli», l’on peut faire en sorte qu’ils nous restent fidèles.
Biographie express
Le Prof. Dr méd. Aristomenis Exadaktylos a grandi en Allemagne et en Grèce. Après avoir terminé ses études à l’Université Martin Luther à Halle-Wittenberg en 1996, il a travaillé en Suisse, en Afrique du Sud et en Irlande. Depuis 2013, il est directeur et médecin-chef de la Clinique universitaire de médecine d’urgence à l’Hôpital de l’Île à Berne. Au cours de sa carrière, il a accompagné et inspiré de nombreux chef(fe)s de clinique sur leur parcours.
![Photo: Martin Bichsel](/fileadmin/article_images/157470.jpeg)
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