• Autres pays, autre médecine?

La médecine d’urgence dans une métropole

Comme il n’y a pas de spécialisation reconnue en médecine d’urgence en Suisse, Svenja Ravioli est partie pour une année à Londres. Dans l’interview, elle nous parle du système de santé britannique, des files d’attente aux urgences et des avantages d’un dossier électronique du patient qui fonctionne.

Svenja Ravioli a réalisé son rêve de vivre dans une grande ville comme Londres – ici une vue sur le gratte-ciel The Shard – en travaillant pendant une année comme médecin urgentiste au King’s College Hospital. Photo: màd
Svenja Ravioli a réalisé son rêve de vivre dans une grande ville comme Londres – ici une vue sur le gratte-ciel The Shard – en travaillant pendant une année comme médecin urgentiste au King’s College Hospital. Photo: màd

Qu’est-ce qui a motivé ton choix d’aller à Londres?

Depuis mes études, je m’intéresse à la médecine aiguë. Après l’obtention du titre de spécialiste en médecine interne générale, j’ai donc visé le titre de formation approfondie en médecine d’urgence hospitalière SSMUS. Mon intérêt scientifique pour les questions relevant de la médecine d’urgence et le fait que la médecine d’urgence ne soit toujours pas une spécialité reconnue en Suisse m’ont incitée à évaluer les possibilités de travail à l’étranger. De plus, j’ai toujours rêvé de vivre dans une grande ville et Londres était ma destination favorite.

Au Royaume-Uni, la spécialisation en médecine d’urgence est reconnue depuis plus de vingt ans. La filière est définie par le Royal College of Emergency Medicine et couvre l’ensemble de la médecine d’urgence.

Quelles ont été les difficultés pour organiser ton séjour?

Un élément clé dans l’organisation du séjour à l’étranger a été de trouver l’emploi approprié. Pour réussir cette démarche, l’entremise par les bonnes personnes à Londres a joué un rôle essentiel et le fait de disposer d’un réseau professionnel correspondant a été déterminant.

L’inscription auprès du General Medical Council (GMC) pour obtenir l’autorisation d’exercer comme médecin a été un processus fastidieux et de longue haleine. Grâce à mon titre de spécialiste, j’ai pu directement m’inscrire au registre des spécialistes.

Pourtant, malgré une promesse orale, j’ai presque dû attendre jusqu’à mon entrée en fonction avant d’obtenir un contrat de travail écrit, ce qui a fortement entravé la recherche d’un appartement et l’ouverture d’un compte bancaire à Londres.

Quels points faut-il impérativement observer pour un séjour en Grande-Bretagne?

Il est très important de s’attaquer très tôt à l’inscription auprès du GMC. L’obtention des bons documents rédigés en anglais auprès des différentes autorités suisses n’a pas toujours été évidente et a nécessité un effort considérable.

Qu’est-ce qui t’a le plus plu dans ton travail à Londres?

Le travail clinique dans un grand centre universitaire des urgences dans lequel toute la gamme des pathologies de la médecine d’urgence, y compris la pédiatrie et la traumatologie, est couverte par une équipe, a été une expérience unique. En particulier la prise en charge des blessés graves m’a permis d’acquérir de précieuses expériences grâce au rôle de Major Trauma Centre occupé par le King’s College Hospital. Travailler dans un environnement empreint de diversité culturelle avec tout ce que cela implique et l’éventail médical intéressant ont également été très enrichissants.

Compte tenu de l’énorme pression sur le système de santé britannique et de l’augmentation du nombre de patients, les compétences telles que le Rapid Assessment and Treatment (RAT) et le maintien du flux des patients ont pris un sens nouveau pour moi. Globalement, on consacre nettement moins de temps aux tâches administratives et un nombre plus élevé de patients sont pris en charge dans un cadre ambulatoire ou dans des Same Day Emergency Care-Units (SDEC).

Qu’est-ce qui t’a moins plu?

Au Royaume-Uni, la surcharge du système de santé se fait nettement ressentir. Véritables centres névralgiques dans le flux des patients, les centres des urgences supportent une grande partie de cette charge. A la différence de la Suisse, les patients ne sont guère transférés dans d’autres hôpitaux et les ambulances ne sont que rarement redirigées vers d’autres établissements pour décharger le centre des urgences. Il arrive donc régulièrement que des ambulances en attente s’entassent devant l’hôpital et que les patients doivent attendre pendant des heures sur des brancards ou des chaises dans la salle d’attente. Et il n’est pas rare que les patients attendent plus de douze heures aux urgences avant d’être transférés dans un lit d’hôpital. La situation est particulièrement précaire pour la prise en charge des urgences psychiatriques qui arrivent par les urgences somatiques et qui doivent parfois attendre plusieurs jours avant de se voir attribuer un lit dans une clinique psychiatrique.

Quelles sont les principales différences entre le système de santé britannique et suisse?

Contrairement aux caisses-maladie suisses, le National Health Service (NHS) est un système de santé étatique uniforme qui garantit une prise en charge médicale à chaque personne domiciliée au Royaume-Uni. Après le traitement, les patients ne reçoivent ni facture ni aperçu des coûts.

Dans le système britannique aussi, les médecins généralistes ou General Practitioners (GP) assument un rôle central dans la gestion des flux de patients. Au Royaume-Uni, ils effectuent même des frottis cervico-utérin et des examens cliniques du nouveau-né.

As-tu constaté des différences en ce qui concerne les conditions de travail des médecins-assistant(e)s et chef(fe)s de clinique?

Je ne pense pas qu’il soit nécessaire d’en dire plus à ce sujet à l’heure actuelle. En effet, les nouvelles sont remplies d’informations sur les Junior Doctor Strikes. La British Medical Association (BMA), l’équivalent britannique de l’asmac, organise depuis mars 2023 des grèves dans le but de stopper la baisse continuelle des salaires depuis 2008 et la perte du pouvoir d’achat qui y est associée. Un premier succès a été obtenu en automne.

Comparativement à la Suisse, les services que j’ai effectués étaient plus intenses, mais je n’ai travaillé en moyenne que 40 heures par semaine et j’avais nettement plus de vacances.

Le modèle du Self-Rostering est aussi intéressant. Le médecin peut aménager lui-même son horaire de service en fonction du nombre de services prescrits. Ce faisant, un effectif en personnel minimal doit être présent chaque jour pour assurer la couverture des besoins. Aujourd’hui encore, je suis étonnée que ce système fonctionne.

Y a-t-il quelque chose qui fonctionne mieux dans le système de santé britannique qu’en Suisse?

Les London Care Records, équivalents du dossier électronique du patient dans l’agglomération de Londres, m’ont grandement facilité le travail. Les médecins généralistes et les hôpitaux peuvent directement accéder aux données médicales telles que les médicaments actuels, les diagnostics, les rapports de séjours hospitaliers ou de consultations. Les patients ont cependant aussi la possibilité de refuser que leurs données soient saisies.

De plus, le traitement ambulatoire des patients est encouragé, du moins dans la région londonienne, par des contrôles de suivi dans des services ambulatoires spécialisés et des services élargis de Hospital at Home. Cette stratégie est essentielle, particulièrement dans un contexte de pénurie de lits.

Quels éléments la Suisse devrait-elle reprendre de Grande-Bretagne?

Une formation postgraduée structurée complète en médecine d’urgence telle qu’elle est proposée au Royaume-Uni permet d’assurer une prise en charge initiale complète et de qualité de tous les patients admis en urgence par les spécialistes de la médecine d’urgence. A mon avis, il est temps que la Suisse introduise et encourage la spécialisation en médecine d’urgence, à l’instar de ce qui se fait au plan international.

Biographie express

Svenja Ravioli est spécialiste en médecine interne générale et titulaire de la formation approfondie en médecine d’urgence clinique et membre du Comité directeur de l’asmac. Elle a passé l’année 2023 comme Senior Clinical Fellow et Research Fellow à l’Emergency Department du King’s College Hospital à Londres.

Un regard au-delà des frontières

Dans la série «Autres pays, autre médecine?», nous nous entretenons avec des médecins qui sont partis travailler à l’étranger pendant une certaine période. Quelles sont leurs expériences dans ce contexte? Qu’est-ce qui fonctionne mieux ou moins bien qu’en Suisse? Les médecins qui souhaitent évoquer leurs expériences en la matière peuvent volontiers contacter la rédaction: journal@asmac.ch