Que veulent dire nos rêves?

Nous rêvons toutes les nuits, même si nous ne nous souvenons pas toujours de nos rêves. Les rêves peuvent donc être de précieux alliés de notre vie psychique. Les hommes en ont fait l’expérience et l’ont constaté à maintes reprises depuis plus de 3000 ans, que ce soit dans la culture de l’Egypte ancienne, dans l’Antiquité, dans le christianisme médiéval ou à l’ère moderne.

Au XX^e siècle, les rêves revêtent une autre signification avec la découverte et la réécriture de l’inconscient par Sigmund Freud. Pour Freud, le rêve est la voie royale vers l’inconscient. C.G. Jung, médecin et psychiatre suisse et fondateur de la psychologie analytique, identifie dans le rêve un processus de création.

Nous pouvons interpréter le rêve comme un processus créatif naturel. Comme le rêve a, selon Jung, un effet curatif et stimulant, nous possédons tous en nous un potentiel de guérison et de développement, et par conséquent aussi la condition pour changer de nombreuses situations dans notre vie. Dans ce sens, Jung écrit dans son autobiographie: «Tous les problèmes qui me préoccupèrent humainement ou scientifiquement furent anticipés ou accompagnés par des rêves [...].» [1]

En psychologie analytique, le rêve est interprété comme un phénomène psychique naturel qui n’est pas provoqué par un acte de volonté conscient, mais qui se produit spontanément. Néanmoins, le rêve a une signification directe et immédiate. Jung ne fait pas de distinction entre le rêve latent et le rêve manifeste. Il ne cherche pas à explorer le contenu qui se cache réellement derrière. Le rêve contient plutôt un message symbolique, ainsi qu’une description symbolique de l’état du rêveur ou de la rêveuse. Les séries de rêves qui montrent des évolutions et les rêves récurrents qui renvoient à des conflits intérieurs fondamentaux sont particulièrement révélateurs à cet égard.

La compréhension symbolique s’explique notamment par les complexes. Il s’agit d’expériences conflictuelles intériorisées nées de schémas relationnels répétitifs et caractérisées par une ou plusieurs émotions difficiles. Si nous vivons ce type d’expériences conflictuelles, nous réagissons de manière complexe: nous sommes très émotifs, adoptons parfois un comportement inadéquat, percevons ces expériences de manière biaisée et les interprétons dans le sens du complexe. Ce processus est en grande partie inconscient, mais les rêves peuvent nous aider à prendre davantage conscience de ces complexes et, par conséquent, à mieux nous comprendre. Selon Jung, nous pouvons également concevoir les complexes comme «les acteurs de nos rêves, face auxquels nous sommes si impuissants». [2]

C’est ce qu’illustrent quelques expériences vécues par des patients de mon cabinet: prenons l’exemple de Monsieur P., qui doit lutter contre un immense trac et une peur du ridicule avant chaque apparition publique. Il me décrit son rêve: «J’ai un Superman à mes trousses. J’essaie de le semer, tout en me défendant. Mais je n’ai aucune chance. Il ne me lâche pas. Je sens qu’il veut me faire du mal. Il me suit même jusque dans une pièce en passant par un conduit d’aération.»

Pour Monsieur P., vivre sa peur en rêve sous cette forme personnifiée est extrêmement révélateur. Le rêve l’aide à prendre conscience qu’il s’oblige à endosser la cape de Superman dans toutes les situations de sa vie et se fixe par conséquent des exigences inatteignables. Grâce à cette prise de conscience et à un accompagnement thérapeutique, il est parvenu à prendre ses distances par rapport à ces exigences.

Un rêve qui exprime un complexe thématise en même temps les difficultés qui doivent être résolues. Mais le rêve propose également des approches pour activer un potentiel inexploité.

Le rêve de Madame T., qui souffre de voir et de vivre sa vie de manière essentiellement négative, sert ici d’exemple. Elle me décrit son rêve: «Je suis dans une pièce au plafond difforme, dans laquelle se trouvent un lit et une table. Ma fille brise une peinture sous verre. Des éclats de verre colorés jonchent le sol. Je me dis qu’on pourrait en faire une nouvelle peinture. Mais je demande d’abord à ma fille d’enlever les débris de verre. Elle ne le fait pas. Mon mari me dit de les laisser. Ma fille est pieds nus, moi aussi.»

Ce rêve touche à de nombreuses facettes de la vie de Madame T. A première vue, il pourrait presque corroborer la perception négative qu’elle a de sa vie. Mais l’idée qu’une nouvelle peinture colorée pourrait naître des débris de verre révèle au final un grand potentiel pour l’organisation de sa vie future. Après une analyse approfondie et un examen répété du rêve, elle décide d’embrasser ce symbole pour construire sa vie future. Aujourd’hui, non seulement elle commence à développer ses capacités créatives, mais elle prend aussi de plus en plus conscience des aspects positifs de la vie, même si tout semble réduit en mille morceaux.

Souvent, la compréhension symbolique du rêve met en exergue, d’une part, nos difficultés personnelles actuelles, mais aussi, d’autre part, nos possibilités de vie et de développement particulières.

Dans ce sens, la psychologie analytique évoque aussi la compensation possible par le rêve. Il s’agit ici de l’autorégulation de la psyché: le rêve confronte le rêveur ou la rêveuse à des aspects négligés de sa propre personnalité, qui demandent à être vus et vécus afin de procurer à l’âme un équilibre suffisamment bon. Il crée ainsi un contrepoids à une vision étriquée de la vie. Il renvoie à des thèmes et à des émotions qui font défaut et qui devraient être intégrés et vécus pour rendre la vie plus colorée, plus riche, plus sensée.

Je pense ici au rêve de Monsieur K.: «Je suis en voiture et je cherche une place de parking, mais je n’en trouve pas. Je me gare finalement à proximité de la forêt. Je m’enfonce dans la forêt. J’aperçois alors un gros serpent rouge. Il s’approche de moi, je m’éloigne lentement sans paniquer. Il s’éloigne à son tour, et grimpe à un arbre. Je me retrouve alors sous cet arbre, avec la peur qu’il me tombe dessus. Tout à coup, je sens quelque chose sur ma tête. Je tente de m’en emparer. Ce sont de minuscules serpents noirs. Je ressens un mélange de peur et de soulagement. Je parviens à les enlever.»

Les rêves de serpents sont fréquents. En tant qu’animaux peu accessibles à l’homme et qui peuvent aussi être très dangereux, ils font référence à des zones imprévisibles de notre psyché. Je décrirais plutôt Monsieur K. comme un intellectuel, qui a besoin de tout maîtriser et a une explication logique pour tout. Le fait qu’il laisse son véhicule, qui pourrait représenter son moi mobile, à proximité de la forêt et qu’il s’y rende ensuite à pied pourrait indiquer qu’il ose de plus en plus s’exposer à l’inconscient, symbolisé ici par la forêt et le serpent qu’il laisse s’approcher de lui. Mais ce rêve pourrait aussi être une invitation à affronter sa peur et prendre ainsi un risque. Les petits serpents qui tombent sur sa tête montrent, dans une image symboliquement impressionnante, comment l’intellectuel entre en contact avec le monde intrapsychique chthonien sans que cela ne déclenche chez lui une peur panique. Le rêve et la discussion autour de cette vision ont permis à Monsieur K. d’apprendre à moins intellectualiser les choses pour davantage se fier à ses sentiments et à son instinct, ce qui a enrichi sa vie et légèrement déplacé son centre de gravité.

Pour conclure ces brèves et très rudimentaires explications sur la compréhension des rêves, il me tient à cœur d’attirer l’attention sur l’orientation finale du rêve. Le rêve a-t-il un but? Et quel pourrait-il être? Peut-être devrait-on y voir un sens plus profond.