- Point de mire: Rêves
Le rêve d’une vie éternelle ...
... ou la nécessité d’établir une culture du bien-vieillir. Accepter et trouver un sens à la vieillesse est préférable aux chambres froides et compléments alimentaires.
10.12.2024
La vie éternelle est un rêve aussi vieux que l’humanité, qui suscite ces derniers temps un intérêt croissant sous le terme de «longévité». Cela s’accompagne souvent d’une attitude antivieillissement qui, si elle devait s’avérer discriminatoire envers d’autres groupes de la société, se heurterait heureusement à de fortes résistances.
Une histoire à succès en termes de longévité
Le siècle passé peut être considéré comme une histoire à succès en matière de longévité: en Suisse, l’espérance de vie moyenne d’une fillette née en 2023 s’élève à 85,8 ans, pour un garçon né la même année à 82,2 ans. Lors de l’introduction de l’AVS en 1948, elle était de 69 ans pour les femmes et de 65 ans pour les hommes.
Vivre plus longtemps en bonne santé ou seulement vivre plus longtemps?
Déjà dans les années 1980, la discussion portait sur la question de savoir dans quelle mesure ce supplément en années s’accompagnait d’un supplément de vie, selon la devise «add life to years not just years to life». «It’s complicated!», pourrait-on dire, car le vieillissement est un processus complexe, multifactoriel et dynamique. Non seulement nous vivons plus longtemps, mais aussi plus longtemps en étant en bonne santé. L’accroissement de la durée de vie et de la durée de vie en bonne santé se déroule à des rythmes différents. Suivant la pathologie, on constate donc tant des signes d’intensification que d’expansion de la morbidité.
Multiples efforts de recherche
Bien entendu, de nombreux efforts de recherche sont entrepris, en particulier dans le domaine biomédical, ce qui est d’une manière générale souhaitable. Ces démarches visent à mieux comprendre les processus de vieillissement dans l’idée de pouvoir éventuellement les influencer positivement, afin que la longévité n’apporte non seulement un bénéfice quantitatif, mais aussi qualitatif. Pourtant, tout ce qui se discute et se vend parfois à prix d’or ne peut actuellement être considéré que comme «potentiellement intéressant», provient d’études animales dont les résultats sont en partie contradictoires, tient compte de facteurs isolés plutôt que de l’ensemble, et la transférabilité des résultats à l’être humain et en particulier à l’espérance de vie en général et en bonne santé reste largement inconnue. Cela vaut pour différentes interventions pharmacologiques, mais aussi pour les interventions comportementales dans le domaine des compléments alimentaires, des chambres froides, etc. Un autre point critique est le ton ouvertement discriminatoire à l’égard de l’âge avec lequel l’on fait la promotion des produits. A cela s’ajoute que la responsabilité pour une longévité en bonne santé incombe, pour la plupart de ces approches, exclusivement à la personne, sans qu’il soit tenu compte du rôle essentiel de l’environnement de vie en tant que champ d’intervention (et d’investissement!) important. C’est donc un peu comme si nous vivions sous vide. Sans parler des inégalités sociales qui sont quasiment inhérentes aux nombreuses offres très coûteuses.
La joie de vivre est plus importante que les compléments alimentaires
A l’UZH Healthy Longevity Center, la recherche et le transfert dans la pratique s’effectuent dans l’esprit de la perspective de l’OMS sur le «vieillissement en bonne santé», qui est défini comme une aptitude fonctionnelle. Celle-ci découle des caractéristiques individuelles d’une personne et des conditions environnementales dans lesquelles elle vit, et est exposée à une évolution dynamique, car ni la personne ni l’environnement ne sont pas des paramètres statiques. Les aspects importants de l’aptitude fonctionnelle sont par exemple la mobilité et l’intégration sociale, les opportunités d’apprentissage et la participation à la vie sociale. Ils concernent donc de nombreux facteurs de style de vie pour une longue vie en bonne santé, pour lesquels on dispose de solides données empiriques. Même s’ils sont moins sexy, ils représentent néanmoins environ 80% des différences en termes de santé et de longévité. Nous les étudions en dehors du laboratoire, au moyen de capteurs mobiles directement dans la vie quotidienne des personnes âgées, en même temps que les modifications de la structure et de la fonction du cerveau, les offres d’apprentissage et de formation numériques, ainsi que les options novatrices permettant de renforcer la résistance au stress. Même si les paramètres de santé physique objectifs constituent une base importante pour évaluer la mobilité et l’activité sociale, ils ne permettent pas, au niveau cellulaire, de conclure pour l’individu s’il ressent un sens ou non à la vie. Le sentiment d’être bienvenu dans la société et de pouvoir y contribuer ne peut guère être obtenu par des compléments alimentaires.
Une santé subjective malgré des entraves objectives
Dans une perspective psychologique du vieillissement, la longévité prend tout son sens lorsqu’il s’agit de soutenir et de faciliter la dignité et l’autodétermination aussi longtemps que possible, mais aussi de renforcer les opportunités et les bénéfices liés à l’âge par rapport aux pertes. Dans cette perspective, bien vieillir est explicitement possible même en présence d’une dégradation objective de la santé. La satisfaction de vie élevée (et la santé subjective) dont font état les personnes âgées, surtout dans le troisième âge, malgré des restrictions de santé objectives croissantes, montrent que ce rapport entre désavantages et bénéfices est souvent positif. Ce n’est que quelques années avant la mort que la situation semble se détériorer. Une bonne gestion de ces pertes dépend en grande partie d’une organisation active de la vie, d’un choix judicieux des objectifs visés et d’une adaptation des moyens pour les atteindre. Mais aussi le fait de savoir lâcher prise, tant en ce qui concerne les objectifs que les choses de la vie que l’on ne peut plus réaliser, gagne en importance lorsque les ressources personnelles sont limitées. L’action et l’expérience individuelles ne peuvent cependant être soutenues que si des structures favorables aux personnes âgées sont disponibles et qu’elles permettent à tout âge de pratiquer des activités qui ont un sens, par exemple pour des thèmes essentiels tels que le logement, la mobilité et l’intégration sociale.
«65+» – un groupe hétérogène
Vieillir en bonne santé et faire l’expérience de la longévité est un phénomène aux multiples facettes. Les personnes âgées, par exemple à partir de 65 ans, forment un groupe très hétérogène et vivent une période de vie très variée avec différentes phases. Trop souvent, cette diversité est réduite aux «65+», aux pertes et aux déficits. Inflexibles et incapables d’apprendre, lents mais sages, aimables et totalement incompétents dans le domaine numérique. Ces stéréotypes de la vieillesse caractérisent de nombreux efforts entrepris actuellement pour échapper, du moins temporairement, au vieillissement et à la mort. Et pourtant, ce sont justement les images positives de la vieillesse qui ont une influence bénéfique, comme le prouvent des études empiriques, sur différents paramètres de santé et qui peuvent même favoriser la longévité!
La culture du vieillissement
Le célèbre chercheur berlinois Paul Baltes, spécialiste du vieillissement, a marqué la notion de «culture du vieillissement» en insistant sur la nécessité de créer un environnement permettant de vieillir dans les meilleures conditions possibles, y compris dans le «quatrième âge». Cela ne signifie pas vouloir arrêter à tout prix le vieillissement ou l’inverser. Il s’agit bien plus, outre de favoriser des mesures préventives susceptibles d’avoir un effet systémique et de profiter ainsi au plus grand nombre, d’apprendre à gérer et accepter les pertes liées à l’âge. Il me semble que la (saine) discussion sur la longévité doit absolument placer cette culture du vieillissement au premier plan.